La pomme
Les restes du risotto, comme une œuvre d’art consommée, finissaient de tiédir. Ils s’étaient régalés et avaient soigneusement essuyé leur assiette, en sirotant ce petit rosé frais aux reflets chantants.
- Qu’est-ce que tu veux, comme dessert ?
* * *
On dit que le ventre plein rend le cœur joyeux. On dit que rassasié, on sent la vie couler dans les veines. On dit même qu’on est heureux.
- Qu’est-ce que tu veux, comme dessert ?
D’habitude, il cherche du regard quelle sucrerie sera prévue pour clore le repas. Ou bien, en mastiquant sa dernière bouchée et en essuyant la lame de son couteau entre deux plis de serviette, il marmonne un « passe-moi une pomme ». Parfois, il soupire d’aise « ah, le dessert, maintenant ! ». Cette fois, une rage nouvelle semblable à toutes les autres s’abat sur la table en déchirant les murs.
Il a bondi sur sa chaise. Frappé la table de son poing massif. Les yeux fous, il s’est mis à gronder. On aurait dit un volcan sur le point d’exploser quand monte la colère du ventre de la terre, et ses brûlures à tout calciner sur leur passage. Ses mots se sont perdus dans la brutalité de sa fièvre. Leur sens s’est échappé avant que d’être perçu. Des flots de verbes et d’injures à ravages. Des zébrures d’acier au fond des prunelles. Lèvres blanches. Visage blafard. Poings fermés. Sur la table. Martelée.
Fallait pas demander. Ou pas comme ça. Ou pas maintenant. Trois secondes avant, ou trois secondes après, allez donc savoir, auraient peut-être été plus digestes. Je crois simplement qu’il ne fallait pas tout court. Comment savoir… Parfois, « rien » provoque quand même. Comment savoir…
- Qu’est-ce que tu veux, comme dessert ?
La menace arrive enfin, clairement énoncée : « Méfie-toi, ça ne va plus durer. Ma patience a des limites. »
La mienne est infinie. Une pomme, une glace à la vanille. Je n’ai plus peur. Je suis déjà ailleurs.
Romane